Témoignage : « Va dans l’informatique, il y a du travail… »
Un témoignage publié sur rue89 que je copie ici car je trouve qu’il me ressemble beaucoup …. L’informatique c’est maintenant ou pas.
J’ai 24 ans, je suis développeur et je suis frustré. C’est simple : tout au long de ma scolarité, j’ai suivi les conseils de mes profs, de mes parents, des conseillers d’orientations. Ils me disaient tous la même chose : « Va dans l’informatique, il y a du travail. » Mais moi, du travail, je n’en trouve pas.
Je suis titulaire d’un BTS informatique de gestion spécialité développeur d’applications. Je l’ai obtenu en 2011. A la rentrée suivante, ce diplôme a été réformé sous l’appellation de BTS services informatiques aux organisations. Il était resté inchangé depuis… 1995. Une éternité, pour un secteur en constante évolution.
MAKING OFNotre riverain Adrien R (c’est un pseudonyme) fait partie de ces informaticiens au chômage, de plus en plus nombreux. Il nous raconte son parcours. Mathieu DeslandesDe l’époque de Windows 95 à celle des applications iPhone, il y a un fossé technique énorme. Mes camarades et moi sommes donc titulaires d’un diplôme qui était d’emblée quasi-obsolète.
Nos profs nous enseignaient les rudiments de la programmation informatique tels qu’eux les avaient appris. Nos cours se basaient sur des langages, des technologies, des concepts et des procédés en totale déconnexion avec la réalité du secteur. Mis à part l’apprentissage de l’algorithmie, de la gestion de projet et de la modélisation de données, ce qu’on nous aura fait apprendre durant deux ans ne nous sera jamais d’aucune utilité concrète.
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J’ai fini major de ma promo
Seul point positif : les stages. Avec mes camarades, nous avons bien plus appris en deux mois en entreprise qu’en une année de cours. On ne peut pas réellement en vouloir à nos profs, compte tenu du caractère chronophage qu’exige une veille technologique constante, mais lorsqu’on présentait nos projets personnels, ils nous donnaient l’impression d’en apprendre davantage de nous que l’inverse.
J’ai fini major de ma promo. J’ai enchaîné sur une licence professionnelle systèmes informatiques et logiciels. La majeure partie des intervenants venant du monde du travail, c’était tout de même plus concret. Cette année s’est achevée par un stage au Québec et l’obtention de mon diplôme avec mention.
Cela fait deux ans que j’alterne CDD et passages à vide. J’ai commencé par un CDD de deux mois, reconduit pour deux mois supplémentaires. Par la suite, j’ai enchaîné, dans une autre entreprise, avec un nouveau CDD de deux mois. Avant un passage à vide de cinq mois.
La suite : en CDD dans une nouvelle boîte pour quatre mois, puis reconduit pour quatre mois supplémentaires.
Personne ne répond à mes candidatures
A chaque fois je n’ai été recruté que pour faire face à une surcharge temporaire de travail.
La dernière entreprise qui m’a embauché – pour huit mois – était à pratiquement une heure de trajet de chez moi et me rémunérait 1 500 euros brut par mois, soit un peu plus que le smic. Pas de tickets restau, mais j’ai quand même eu droit à des chèques cadeaux pour Noël. Mon employeur, par ailleurs très sympathique, m’a dit un jour :
« T’as peut-être pas un salaire de ministre, mais si tu savais ce que tu me coûtes, tu te rendrais compte que t’es pas en mesure de te plaindre. »
Actuellement, je suis au chômage. Depuis début mai. Pratiquement personne ne répond à mes candidatures. Pour assurer ma veille technologique, je me suis autoformé à la programmation d’applications mobiles et à de nouvelles technologies web.
Des offres d’emploi aberrantes
Lorsque j’épluche les offres d’emploi en ligne, je tombe sur des trucs aberrants, mais malheureusement c’est loin d’être l’apanage du secteur informatique. On explique y chercher des jeunes diplômés détenteurs d’un bac+5, expérimentés, polyvalents, corvéables bien évidemment, pour un salaire loin d’être mirobolant. Un développeur web doit couvrir les compétences d’un graphiste et inversement, alors que ce sont deux métiers liés mais totalement différents.
Le plus insupportable, c’est qu’on exige expressément de vous que vous soyez expert dans telle technologie ou tel langage de programmation abscons, sans quoi le recruteur ne s’attarde même pas sur votre profil. Ça n’a pas de sens.
Pour faire une analogie foireuse, refuser de laisser sa chance à un candidat parce qu’il ne connaît pas un langage, c’est aussi con que de ne pas embaucher un cuisinier parce qu’il dit ne pas connaître telle recette par cœur. Même logique avec un prof de français qui n’aurait pas lu un auteur obscur. A partir du moment où l’on détient des compétences algorithmiques, pratiquement n’importe quel langage de son secteur peut s’apprendre de façon rapide et autonome ; c’est pareil pour la mémorisation d’une recette de cuisine ou la lecture d’un auteur.
A force de viser un profil cible qui correspond à 100% de leurs critères, ils ne se rendent pas compte qu’ils passent à côté d’autres profils tout aussi compétents, motivés et porteurs d’innovation.
« Informaticien », ça ne veut rien dire en soi
Tous les chômeurs le savent : passé un certain temps, il n’y a rien de plus insupportable que tous ces proches autour de vous qui vous abreuvent de leurs pseudo-conseils du genre « t’as essayé de… », « et pourquoi tu postules pas là… », « regarde, pourquoi tu fais pas ça comme Machin… ». L’enfer est pavé de bonnes intentions.
Les gens de mon entourage – en particulier ma famille – ont du mal à comprendre qu’être « informaticien » ne veut rien dire en soi. C’est un terme générique qui regroupe une multitude de métiers aux vocations différentes. Du coup, dès qu’ils trouvent une offre où apparaissent les mots « ordinateur », « informatique » ou « suite Office », ils m’en font immédiatement part en m’incitant systématiquement à y postuler.
J’ai beau leur expliquer que je ne suis pas technicien réseau, développeur embarqué ou encore administrateur de bases de données, ils ne trouvent rien d’autre à me répondre que je suis trop difficile et que je ne mets que de la mauvaise volonté dans ma recherche d’emploi. Au final, beaucoup de ceux qui croient vous aider vous enfoncent moralement davantage qu’ils vous soutiennent.
Dans les articles en ligne qui traitent du départ des jeunes diplômés à l’étranger, je ne compte plus les commentaires de ceux qui trouvent scandaleux que l’on puisse partir alors que le système scolaire français a financé une bonne partie de nos études. Il faut seulement comprendre que pour une très grande partie d’entre eux, il s’agit de leur dernier recours. Las de stages sous-payés, de CDD à la chaîne et de dizaines de candidatures sans réponse, ces jeunes ont bien évidemment vidé toutes leurs munitions avant de faire face à cette éventualité.
Pour ma part, j’envisage dans un premier temps de quitter la ville du sud où j’habite pour gagner une plus grosse agglomération. Mais je ne veux pas me résoudre à faire partie des forces vives contraintes de déserter la France.